Retour vers le futur !

« Ainsi l’impérialisme, tel le chasseur de la préhistoire, tue d’abord spirituellement et culturellement l’être, avant de chercher à l’éliminer physiquement. » Cheikh Anta Diop
Civilisation ou Barbarie : Anthropologie sans complaisance, Présence Africaine, Paris, 1981

De temps en temps, il est nécessaire de jeter un coup d’œil au rétroviseur afin de s’assurer, pour la plupart des gens, qu’il n’y a pas de menace en approche, mais aussi afin de se rendre compte de la distance parcourue pour d’autres. Telle était notre état d’esprit au moment de nous lancer dans une recherche avancée de contenus historiques liés au Sénégal à travers des archives ou collections d’images, de vidéos et d’écrits. Les merveilles d’internet (et quelques nuits blanches !) nous ont fait découvrir cette vidéo datant de l’année 1963 et extraite vraisemblablement d’un magazine de l’époque intitulé « 7 jours du monde ». Nous allons essayer de la décortiquer et d’en interpréter quelques passages.

Le ton est donné dès les premières secondes avec un focus sur une manifestation de l’opposition sénégalaise qui, à travers cet acte de ras-le-bol, manifestait une volonté de changement suite aux soulèvements constatées dans d’autres pays d’Afrique noire, mais aussi au référendum gagné par Senghor à 99% (vraiment?), en mars 1963, et dont la conséquence fut une concentration du pouvoir exécutif dans les mains du président de la République. Ce mouvement contestataire a ainsi été victime de tirs de fusils mitrailleuse et de grenades offensives, faisant 40 morts et 250 blessés. L’excuse de Senghor pour justifier cette répression a été la légitime défense. Le mal s’avère alors plus profond qu’il n’y paraît lorsqu’il affirme : « Tant que je serais là, je tâcherais de maintenir la démocratie ». On connaît la suite.

Un des points importants de son intervention reste l’argumentaire déployé pour justifier le fait que le Sénégal avait choisi la voie de la « séparation assortie d’une pension alimentaire », par opposition à la Guinée de Sékou Touré qui avait choisi un « divorce » sans concession. Selon Senghor, « les nations les plus développées doivent aider les plus pauvres… De même, chaque pays africain reçoit une pension, qu’elle vienne de l’Est ou de l’Ouest ». En effet, les pays qui choisissaient une séparation totale d’avec le colon se tournaient systématiquement vers les régimes soviétiques-socialistes qui leur fournissaient des aides aussi bien en matériel, qu’en compétences et d’ordre financières. Le président a aussi souligné le fait qu’il aurait fallu bien utiliser cette aide, peut importe sa provenance, avant qu’il ne se compare aux autres pays d’Afrique sub-saharienne sur la base d’indicateurs macro-économiques, signes selon lui, d’un développement en bonne route. L’impertinence de cette démarche a été prouvée depuis, même si la pratique est toujours en cours.

Ce « développement » était reflété, à l’époque, par ce « morceau d’Europe implanté en Afrique » qu’était le centre ville de Dakar, à travers ses bâtiments publiques tout neufs et ses magasins de luxe. Ce décor n’était sûrement pas le reflet de la vie et du vécu de bon nombre de sénégalais. Ce contraste se manifestait à travers la Médina, avec ses « baraques » et maisons en zinc, sa population abandonnée par le gouvernement. Ce dernier a entrepris le dés-engorgement de ce qui était à l’époque un bidon ville pour mettre sur pied un plan d’urbanisation et promouvoir la Sicap selon un plan d’accès au logement à hauteur de 10.000 francs par mois que devaient payer les sénégalais, pendant 7 ans, avant qu’ils ne soient propriétaires.

Concernant le point de vue des français établis en « territoire d’outre mer » à l’époque, un peu de nervosité et d’incertitude ont laissé la place à une reprise normale de la vie avec, comme ils l’ont noté, un Chef de l’Etat qui fait figure de gouverneur français, comme s’il n’y avait effectivement jamais eu d’indépendances.

Ainsi, ce document vidéographique est très intéressant selon plusieurs perspectives. On se rend compte que le Chef de l’Etat n’est en fait qu’un défenseur des intérêts du colon qui, sans vraiment couper les liens, en tire les ficelles, et que ce président est prêt à tirer sur son peuple pour pérenniser cet état des faits. Aujourd’hui encore, on assiste aux mêmes pratiques de soumission, sans remise en question des conséquences de la mise en pratique de cette politique tout simplement lâche et aux mêmes pratiques de répressions violentes à l’égard de toute manifestation contestataire (Exemple : Répression violente de la manifestation d’Octobre 2016 à Dakar). Il serait intéressant dès lors de se poser la question sur les vrais intérêts de chacune des parties, en l’occurrence la France et le Sénégal, dans cette relation déséquilibrée qui nous lie. Aujourd’hui encore, on retrouve les mêmes clichés qu’il y’a un peu plus de 70 ans, c’est à dire un centre ville avec de beaux bâtiments et des monuments qui font office de carte postale et de vitrine au monde, à côté de banlieues désœuvrées et laissées à elle-mêmes, en attestent les séries d’inondation qui touchent ces quartiers lors de chaque hivernage. Et si les milliards qui ont servi à construire la statue de la renaissance avaient été utilisées pour installer des canalisations neuves dans certaines parties de Dakar?

Avec Diamniadio et Keur Massar, on assiste encore au même mécanisme instauré à l’époque pour la Médina, avec comme objectif officiel cette fois, d’anticiper l’afflux de personnes vers la ville et préparer l’ouverture du nouvel aéroport.

Il est aussi intéressant de noter que l’image du chef de l’état telle que décrite dans la vidéo reste toujours d’actualité. Nos présidents sont les premiers à supporter les mouvements stratégiques des pays occidentaux et de leurs entreprises dans nos frontières, tout en étant toujours présents à ces forums ou colloques à travers le monde, eux qui ont plus l’air de « conseils de classe » qu’autre chose. Leur comportement est à revoir et à critiquer. Ils se doivent de tenir une posture digne et respectueuse des millions de gens qui les ont mis au pouvoir et dont ils sont le symbole à l’extérieur de nos frontières. Mais à ce qu’il paraît, un peuple a toujours un président à son image.

Enfin, nous ne pouvions terminer sans évoquer le passage sur le Khalife El Hadj Falilou Mbacké et ses paroles qui incarnent une certaine sagesse dans cette imbroglio, mais aussi ce dialogue inter-religieux qui caractérise si bien le Sénégal. En effet, après avoir bien fait comprendre qu’il y’a une certaine limite entre les affaires spirituelles de la nation et celles politiques (limites quasi inexistantes aujourd’hui), son propos s’est résumé à une phrase pleine de sens et non moins important : « Les intérêts supérieurs du Sénégal sont au dessus de toute considération ». Que nos représentant en prennent de la graine, la mettent en application, avant qu’il ne soit trop tard.

Yeewu dafa djot !

 

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. El Mansour Diassé dit :

    Bonjour , une belle reflexion sur la politique senegalaise dans sa globalité . De « l’independance » a nos jours , l’analyse a été impeccecable. Je rajouterai juste que malheureusement nos Etats Africains ne tirent pas des lecons du passé politique . Nous agissons toujours de le meme facon,avec les memes methodes de developpement copiées de l’occident et toujours sans resultat . A quand notre eveil et notre changement? YEWWU DAFA DJOT.

    J’aime

Laisser un commentaire